jeudi 25 janvier 2007

Pauvre con

Tes amis sont partis, tu ne sais plus qui tu es. C’est normal, els étaient ce qui te donnait envie de te lever le matin (rien d’étonnant, tu me diras). Sauf que tes amis, tu ne leur parlais que pour leur raconter comment tes contemporains sont cons, parque mal habillés, mal coiffés. Tu ne les voyais que pour critiquer et gerber sur la masse insipide de blaireaux qui polluent ta vie. Et tu te sentais protégé, au sein de ce groupe d’amis si soudés, prêts à tout affronter. Mais, pas de bol, la chance se barre, tôt ou tard. Tu es seul, à présent.
Tes amis sont partis. Et maintenant que tu es seul, tu réfléchis (peut-être pour la première fois de ta vie). Tu réfléchis, et quelque chose de sombre, d’oppressant, d’obscène vient te frapper en pleine gueule, cette angoisse terrible qui n’émerge que dans les heures les plus sombres de l’insomnie, ou dans les transes les plus profondes de tes bad trips. Tu te poses une question enfouie depuis longtemps dans les recoins de ta frustration : pourquoi étaient-ils tes amis ? Mais la réponse, tout aussi occultée par la peur, tu la connais déjà.
Rien. Non, pas la moindre parcelle de sentiment humain ne te liait à ces gens, et d’ailleurs, ne l’as-tu pas dit ? Ces trucs là, c’est pour les merdeux, les naïfs, les blaireaux. Et toi, tu ne veux pas leur ressembler, tu veux dominer, tu veux tenir le flingue, et regarder l’autre creuser. L’amour, tu n’y crois plus. Tu n’en as plus besoin, tu as tout ce qu’il faut. Tes amis, tes fringues, tes remballes, oui, tu es paré à toutes les situations. Il y a même des gens qui commencent à coller à ta bande. Des cons, des bouffons, mais peu importe, pourquoi ils traînent avec toi, ce n’est pas ton problème. Ils sont marrants, tu peux te foutre de leur gueule, ils ne com­prennent pas trop, ils croient que tu les charries. Mais tu restes implicite, des fois que tu perdes cette source de distraction si fabuleuse, si jouissive.
En parlant de ça, il y a une fille, dans ce tas de cons, qui t’a pas mal tapé dans l’œil. Tu ne la trouves pas jolie, tu la trouves bonne. Ouais, elle est bonne, et tu te la ferais bien. Comme dans les films que tu mattes, tu veux l’insulter, la maîtriser. Tu veux la dominer, comme toi-même tu as été dominé. Si, si, souviens-toi… C’était il y a un vaille, je sais, mais en fait, c’est ça qui t’a poussé à devenir tel que tu es. C’est ça qui a ruiné en toi les dernières bribes d’innocence, tes derniers es­poirs d’un monde d’amour et de liberté. C’est ça qui t’a fait découvrir l’aigreur la jalousie, la vengeance, ces sentiments obscurs qui ont engendré chez toi cette vo­lonté (que dis-je, ce besoin) de dominer de casser, de détruire, pour leur faire payer, pour lui faire payer, à elle.
Elle, c’est la petite fille que tu observais tout le temps, la petite fille que tu voulais tant impressionner. La princesse de tes rêves, la fée que tu voulais emmener dans ton avion, la déesse que tu aimerais toute ta vie. Et tu avais complètement raison, quoi de plus merveilleux, de plus attendrissant que d’offrir son cœur à celle de ses pensées ? Mais ton cœur, elle n’en a pas voulu. Non pas qu’elle te détestât, mais elle ne t’aimait tout simplement pas. C’est ça qui à brisé ta candeur, ton rêve d’un monde parfait.
Devant la peur intestine du malheur amer qui emprisonne à jamais les cœurs dé­chirés, tu as préféré t’esquiver. Non pas pour te grandir, pour surmonter, et Dieu sait si c’est dur, mais pour ramper, sombre, et ruminer une malfaisance naissante dans ton jeune esprit. Tu la détestes, tu souffres, c’est de sa faute. Mais en te ter­rant dans cette caverne mentale, ce chaos de frustration et de rancœur, tu infectes ta plaie, l’acide gagne tes veines, se propage dans ton métabolisme, ronge ton cortex. A présent, il régit tes connexions synaptiques. Un seul message martèle tes nerfs, parcours ton échine : plus jamais comme ça.
Et tu as retenu la leçon. A présent, tu domines. Tu as développé tous les aspects de ta personnalité qui tendent à conforter ton orgueil, et la suprême position qui te permet de juger ton prochain. Tu es bien coiffé, bien habillé, tu as des amis, des bouche-trous, et tu es infecte envers ceux qui te paraissent le moins mériter ta considération. Tu es un baron, un boss. Tu étais.
Quoi ? Oui je répète : tu étais. Hé, j’espère que tous ces larmoyants souvenirs ne t’ont pas éloigné de la vérité. Je te rappelle que tu es seul, mon vieux. Tu sais, tôt ou tard, ça devait arriver, et malheureusement, ils ont joué ton jeu. Ils n’éprouvaient pas le moindre semblant d’amitié pour toi, tu le sais, et tu sais aussi que c’était réciproque. Non, tu étais simplement amusant, carrément drôle, parfois même, quand tu cassais les gens les plus moches, les plus gros, les plus faibles, oui, c’est ça, ces créatures devant qui tu te dentais si puissant, si omnipotent, et dont le franc mépris que tu avais pour eux renforçait ton égo et ton intime convic­tion d’appartenir à un groupe de leaders, de maîtres, de corbaques, en fait. Eh oui, mon vieux, tu n’étais qu’une immonde corneille, un vautour dont l’unique dis­traction était de sucer les entrailles de victimes que tu choisissais parmi les plus humbles, les plus isolées. Mais ce temps-là est révolu.
A présent, tu marches seul. Tu survis, sans repères, sans personne à amuser, sans personne à impressionner. Tes amis ont perdu de leur intérêt pour tes pitreries, tu n’y pouvais rien de toute façon, il y a un moment où l’on décroche. Voilà, tu es descendu au niveau de ceux qui souffraient son dédain. Tu es un paumé, un loser. Tu n’as plus d’amis, ils sont partis. Tu n’as plus d’amis, tu n’as plus d’amis.

Aucun commentaire: