samedi 19 mai 2007

Défis de réflexion

Comment être persuadé intimement de la vérité de sa religion et accepter que d’autres n’y adhèrent pas et professent une autre croyance ou encore ne croient en aucune religion ?


Etablir une réponse unilatérale à cette question serait inapproprié. Les oppositions entre religions survenant à différents degrés du spectre des rapports humains, il convient de remettre en question la légitimité de l’opposition religieuse en prenant en compte trois différents niveaux : individuel, dogmatique et ethnoculturel.

On peut constater que la capacité à tolérer une autre religion dépend en premier lieu de la nature purement individuelle de la foi. En effet, même inclus dans une communauté religieuse fraternelle et très ritualisée, l’individu reste seul face à sa foi, et se constitue, par le biais de son expérience personnelle et des valeurs familiales, communautaires et culturelles dans lesquelles son esprit critique s’est forgé, une croyance personnelle qu’on pourrait même qualifier de « sur mesure », compte tenu de la divergence des attentes de chacun face à la transcendance et à l’éternité.

Ainsi, on admettra volontiers qu’au niveau individuel, la tolérance dépend des valeurs morales qui pétrissent la foi, ce qui la rend par là même dépendante de la propension du sujet à accepter ou non la nouveauté, et donc des propriétés les plus élémentaires de notre subjectivité. Selon toute vraisemblance, seul un raisonnement volontairement tolérant aboutit à la tolérance. Qui voudra voir en l’autre l’ennemi de sa foi le pourra, souvent même en se basant sur ce qu’il croit être les vertus fondamentales de sa religion, mais qui ne sont en fait que l’interprétation qu’il en fait. D’où la virulence du DJihad islamiste, concrétisation de la vision d’un chef spirituel, dont les idéaux relèvent souvent d’une interprétation nouvelle et personnelle de la loi coranique. Le caractère interprétatif apparaît d’autant plus clairement lorsqu’on prend acte du contraste entre les différentes écoles coraniques qui se sont succédées, chacune se démarquant de celle qui la précède par une discipline et un extrémisme toujours plus assumés, et les valeurs énoncées dans le Coran, exemptes pour ainsi dire de toute contrainte comportementale. Muhammad se divertissait volontiers par le biais de la musique, des plaisirs sexuels (au sein des liens du mariage, évidement), des jeux de société et d’autres passe-temps propres à ceux de son rang et de son temps, à en croire le Livre. D’où proviendraient alors la xénophobie et l’austérité viscérales des mollahs et de leurs martyrs, si ce n’est d’une interprétation, c'est-à-dire un procédé subjectif, collectivisé et institutionnalisé ?


L’exemple précis de l’hostilité islamiste face aux pays « porteurs de la croix » nous amène à considérer le deuxième palier où tolérance et acceptation interviennent, c'est-à-dire le niveau des oppositions de dogme. On constate que dans de nombreux cas, l’acceptation d’une religion par une autre dépend de la proximité de leurs préceptes et des vertus qu’ils défendent et, par jeu de réflexion, de la nature et de l’étendue de leurs contradictions. Ainsi, la tolérance est beaucoup plus envisageable entre branches d’une même religion monothéiste, voire entre les différents monothéismes. Preuve en sont les démarches bilatérales entreprises depuis la dernière moitié du XXe siècle par les chefs spirituels des différentes branches du christianisme, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme (bien qu’affilié à aucun monothéisme, le bouddhisme est par nature ouvert à la différence, et donc enclin à accepter le dialogue, cette particularité n’ayant été portée à son faîte, toutefois, que par le dernier Dalaï-lama). Cela montre clairement que le caractère essentiellement interprétatif de la religion intervient aussi à échelle interreligieuse, et que le dialogue dépend de la volonté de dialoguer. Trouver dans son mythe fondateur les lois incitant à la tolérance est à peu près aussi aisé que de trouver celles qui établissent que le croyant est « seul contre tous ».

Le dernier stade auquel apparaît cette capacité à tolérer la différence serait celui des conflits de civilisations et de leurs enjeux humains : l’Histoire ne tarit pas d’exemples par lesquels l’Homme a su illustrer son inclination à mêler à la religion des notions sociétaires cruciales : le capital humain ; l’économie et la création de richesse ; la domination territoriale et l’hégémonie ethnoculturelle. La violence des croisades illustre parfaitement comment au nom d’un message d’amour et de préceptes fraternels, l’Homme est capable de mener les guerres les plus ardentes, et de mêler à un but premièrement religieux des intérêts économiques, territoriaux et diplomatiques (cf. les luttes fraternelles entre l’Ordre du Temple et les armées royales au sujet des responsabilités et revendications au sujet des croisades ; la capture et le rançonnage de Richard Cœur de Lion par le monarque autrichien à son retour de Jérusalem, quand bien même tous deux avaient pris part à la même campagne ; les exactions commises dans le but de conquérir ou de reconquérir la Ville sainte, et les héros nationaux qu’elles ont engendré dans les deux camps : Saladin du côté musulman, les divers rois guerriers du côté chrétien).

Un autre exemple de l’implication d’éléments profanes dans les oppositions de religions serait la Conquête de l’Espagne entre 712 et 1492, période pendant laquelle, sous l’autorité califale d’Al Andalus (le nom de l’Espagne arabe), les trois monothéisme ont pu cohabiter, ce dans le but de constituer, pour la première fois dans le monde occidental, un terreau scientifique, artistique et commercial fondé sur la coopération des trois religions du Livre. Le contrepoids de cette démarche fut la Reconquête catholique menée par les rois d’Espagne, et les décennies consacrées à l’épuration de toute forme de réminiscence judaïque et islamique de la société espagnole que ce processus a engendrées.

D’une manière générale, on peut convenir que l’acceptation d’une autre religion ou de l’athéisme repose, à toutes les échelles, sur l’ouverture d’esprit, l’érudition du sujet et les conditions économiques, sociales et culturelles dans lesquelles il a été élevé. Un théologien docte dans le domaine des trois religions du livre pourra aisément tracer des analogies entre judaïsme, christianisme et Islam : si elles divergent sur des points de vue interprétatifs et symboliques, il est aisé de penser qu’elles se retrouvent sur l’essence et les vertus prônées. A l’inverse, un croyant peu instruit ou adhérant de manière primaire à sa religion (persuasion d’appartenir à la seule vraie religion, déduction primitive qui implique que si je tiens pour vrai les préceptes de ma religion, tout précepte religieux extérieur à la religion que je pratique est erroné) aura plus de facilité à ne pas admettre le croyant divergent ou l’athée.

1 commentaire:

L'Avarice de l'Avara a dit…

Point de vue interessant et tres instructif. Tu penses beaucoups le soir à ce que je vois.